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Yasmina Rezza : l'annonce d'une tragédie

A propos du livre de Yasmina Rezza

 

Le livre de Yasmina Rezza, outre son intérêt d’écriture que je découvrirai aussitôt qu’on me l’aura prêté peut-être, encore qu’il y a de grandes chances que je le trouve dans quelques mois chez les Chiffonniers d’Emmaüs de Tarnos (40) que je ne saurais trop vous recommander, le livre dont le héros, dit-elle, est un « gosse » devenu Président, présente, en dehors de la polémique qu’il soulève –ou voudrait soulever- plus d’un intérêt ?

 

Il est normal qu’une dramaturge célèbre soit attirée par ce genre de héros romantique –à notre échelle people du XXIème siècle- sorte de Rastignac moderne , celui-ci venu de la banlieue dorée de Paris à la conquête de la France, l’ambition ayant pris, avec le siècle, les proportions du monde . Toujours en effet les écrivains ont été attirés par ces personnages monstrueux qu’une mutation mentale conduit, par les chemins détournés de la politique ou de la finance, parfois conjugués, à assouvir une perversité particulière, qui trouve chez d’autres des exutoires banaux dans la famille ou l’exercice de leur profession, celle de l’exercice du pouvoir. Monstres aux petits pieds chez Molière, aux conduites extrêmes chez Shakespeare, aux détours cyniques chez Musset, ils hantent aussi bien le roman que le théâtre. Les personnages réels animent les récits de biographies, livres et  scénarios de film, de César à Hitler.

 

Il n’est donc pas étonnant que la dramaturge ait succombé  au charme du personnage de roman qu’est Nicolas Sarkozy. On sait assez de son enfance d’où vient sa part d’ombre, ce cynisme bravache, son assurance fragile, sa morgue grossière, son intrépide ambition. Aventurier entouré d’une bande d’affidés qui tiennent plus du corps de ballet de la mafia des films de Scorcese que de la gent politique habituelle à notre démocratie –Balkany est ainsi, entre autres manoeuvres de faussaire, devenu le champion du « je corrige moi-même ma biographie sur Wikipédia » -, véritable comédien d’une fiction-réalité qui a fait irruption dans notre quotidien grâce à la complicité d’un consortium de marchands d’armes et de désinformation, il incarne bien le héros du XXIème siècle balbutiant, ou bégayant, c'est selon : elle se dit « émerveillée ».

 

Je ne sais pas si nous, qui ne sommes ni dramaturges, ni spectateurs d’une pièce à venir, et pas encore lecteurs d’un roman qu’on pourrait intituler déjà, et Yasmina Rezza l’annonce : « le Pays dont le Président est un gosse »*, avons à nous féliciter de passer cinq ans ou plus sous les fourches caudines d’un pouvoir personnel tel qu’il est annoncé.

 

Car la tragédie, qu’on devine dans les interviews de l’écrivain et dans les quelques extraits rencontrés, est bien là. Elle court déjà dans le titre de l’ouvrage : « L’aube le soir  ou la nuit ».

 

La chronologie, sans ponctuation, qui fait office d’annonce d’une tragédie, passant de la lumière à l’ombre, de l’ombre à l’obscurité, ne laisse aucun doute sur l’ambiguité qui court sur la conquête du pouvoir, mais aussi sur le « règne » qui s’annonce. Si le personnage Sarkozy a tant émerveillé l’auteur, c’est bien qu’il est chargé d’une infinité de possibles, la métamorphose pouvant aller de la grâce aux enfers. Emerveillement de l’aède aveugle rencontrant le rusé Ulysse, de Balzac croisant le chemin de Rastignac, émerveillement du dramaturge admis dans l’intimité de la Créature, forcément chargée d’avenirs parce que perverse et animée d’une volonté, d’une énergie que les obstacles ne peuvent arrêter. Sauf si…jusqu’au moment où…

La pièce de théâtre est distribuée, les rôles définis, le scénario s’écrit, sous nos yeux, avec déjà ses signes de mégalomanie et d’impuissance. Yasmina Rezza peut continuer à suivre le « gosse ». Le « brouillon » peut devenir le héros d’une pièce à venir :

Suffit-il de devenir président pour être adulte ?

Le jeu de l’acteur (futur) pourra s’inspirer de la gestuelle du héros, qui ne trompe pas : cette façon de marcher, ces mouvements d’épaules, ces énervements subits, ces grimaces –ricanements et mensonges- sont bien ceux d’un acteur de premier plan, héritier des meilleurs artistes du cinéma muet.

 

Malheureusement, il parle.



* Nous avons heureusement échappé à la pièce : "Le pays dont le président est un éléphant"



25/08/2007
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