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Ala manière d' Alphonse Allais

À la manière d'Alphonse Allais

 

Aventureuses actions

 

 

 

 

Je me trouvais la semaine dernière avec mon bon ami le Capitaine Rap au « Café du belvédère » de Portencieux (Calvados), un établissement qui, comme son nom ne l'indique pas -et le pourrait-il?- n'est pas au bord de la mer, ni d'un quelconque cours d'eau, mais juste en face de la gare où j'ai pris l'habitude, une fois n'est pas coutume, de poster les articles qui font la joie des connaisseurs du « Petit Parisien », journal à un sou, ou peu s'en faut, et dont je recommande la lecture et l'achat. N'ayez pas scrupule, pour tout abonnement, à vous recommander de l'auteur de cet article : je reçois 10 %. Parfois.

 

Nous discutions , mon ami et moi, de choses et d'autres, ce qui est en général le cas lorsque nous nous rencontrons au retour de l'un de ces voyages qui ont fait son succès dans la bonne société parisienne, et dans quelques bars portuaires de Lisbonne à Caracas où le bon Capitaine Rap a ses habitudes et de vieilles connaissances dont il apprécie la jeunesse.

 

Nous sirotions une absinthe tout en dissertant sur le retour de pratiques bistrotières issues du XIXème siècle. L'époque est à la nostalgie : Alphonse Allais n'est-il pas devenu l'un des poètes du rire du Printemps des Poètes 2009, ce qui l'aurait bien fait marrer.

 

Fut-ce le changement de la direction du vent, ou l'augmentation de l'intensité des voix, toujours est-il que le Capitaine Rap et moi tendîmes l'oreille - chacun la nôtre, cela va de soi, comme dirait le Bombyx du mûrier - pour surprendre la conversation de nos deux voisins de terrasse.

 

C'étaient deux bourgeois bien mis, comme vous et moi, quoique vous..., mais simplement, plutôt sur leur 29 que sur leur 31, encore que (me fait signe le Capitaine Rap, dont je balaie d'un geste la dénégation, je saurai plus tard qu'en fait, il éloignait une guêpe malencontreusement posée sur son nez) qui discutaient, d'une voix assez forte pour que nous ayons pu suivre toute la conversation, des fluctuations imprévisibles de la Bourse et de certains (aventureux) placements avantageux. Le plus rond était un banquier, je l'aurais parié, j'ai le flair pour ces choses là, ou un sénateur (quand j'ai le rhume des foins). Le second paraissait être un client et ami, le tutoiement étant un critère de proximité intime, il ne me viendrait pas à l'idée de tutoyer mon banquier, ce vieux salopard.

 

Je vais essayer de retranscrire la conversation surprise en cette fin d'après-midi, souhaitant que « le Petit Parisien » m'achète fort cher ce texte : ce sera la première fois qu'un banquier m'aura rapporté trois sous.

Le banquier :

«  Mais non, mon cher, n'en fais rien, joue donc sur le long terme, attends donc..

Le client :

«  Mais moi, je veux bien attendre et ne pas vendre! Mais c'est toi-même, mon cher ami, qui me menace...

Le b. ( j'abrège, bien que ce ne soit pas de mon intérêt, étant payé au mot ou à la ligne, tout dépend de l'humeur de Vidal, le cochon qui décide de m'octroyer quelques subsides en échange de ma prose):

« Mais non,ce n'est pas moi, c'est la Banque! bien sûr, tu as quelques découverts, mais les agios mensuels, que je t'accorde volontiers, te permettent d'attendre une meilleure tenue du marché. Tes actions...

Le c. ( Mais s'il me paie à la ligne cette fois, j'y regagne, parce que les dialogues directs sont bien plus gratifiants que la prose habituelle, où je vais rarement à la ligne):

«  Les actions que tu m'as conseillé d'acheter! Toutes à la baisse, une vraie Bérésina! Et pendant ce temps-là, mes emprunts courent, sur les parts que j'ai prise dans ta société immobilière...

Le b.: Mais tout le monde est dans ce cas!

Le c. : «  Tu parles d'une consolation!Après la Bérésina boursière, le Titanic! Nous coulerons donc ensemble?

Le B. : Bien sûr que non! Il faudra bien qu'un jour les gens se logent, achètent des appartements : on les vendra plus chers, c'est tout, aussitôt que les taux d'intérêts baisseront...Tiens, tu veux que je te dise, j'ai quelque chose à te proposer...approche-toi...

Le c.(qui tend le cou vers son vis à vis) : ...

 

Là, je suis obligé de reconnaître que j'ai reconstitué la suite du dialogue à partir de quelques bribes entrentendues, et des ajouts (éclairés) du Capitaine Rap, très versés dans les manipulations bancaires, ne fut-il pas marin au long cours pour la célèbre flotte luxembourgeoise.

 

Le b.: « Tu as entendu parler des actions pourries, ces trous noirs de la Bourse entretenus savamment par les banques de Paradis fiscaux?

Le c : « Vaguement, je dois dire que ce n'est pas très clair

Le b. / «  C'est exprès...mais pour nous, les banquiers....Voilà, j'ai un lot d'actions pourries à larguer, on a des primes pour ça, on essaie de les renoyer dans d'autres paquets...Il me faut un ou deux gogos...

Le c. » « Et tu comptes sur moi, un vieux copains d'école,? Ben, mon salaud!

Le b. : (il l'aggrippe par le bras) «  Reste là un moment : on se partage la prime, je te fais sauter tes agios, j'appuie sur un bouton et hop, effacés, les agios!..

Le c. «  Tu peux faire ça, hop?

Le b. «  Mais je fais ça tous les jours...pour les bons clients. Toi, je peux pas, t'es un copain, mais là, promis, je le fais...et les risques sont limités: dans le paquet d'actions, il y a, tiens toi bien , une valeur sûre, du culturel, un truc qui se dévalorise pas, même si ça ne rapporte pas grand chose, écoute bien... »

 

Et là, je vous jure que j'ai bien entendu, d'ailleurs le Capitaine Rap vous le confirmera au retour de son prochain voyage (il a couru à la minute même à la gare pour prendre le train pour les Bermudes).

Le b. (je reprends) : »...pas grand chose, écoute bien, c'est un paquet de Poésie-Action... »

 

Je n'ai pas entendu la suite, j'ai suivi le Capitaine Rap, de loin, il était déjà sur le quai, je l'ai rattrapé -le prochain train ne partait que trois heures plus tard :

«  Tu as entendu? »

Il avait entendu : il me regarda d'un air désolé:

« Ces banquiers, pendant la crise, ils vendraient n'importe quoi! »

 

 



24/01/2013
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