la rencontre Michel Onfray Nicolas Sarkozy
Michel Onfray, philosophe de haute tenue, l'a rencontré récemment à l'occasion d'une entrevue organisée par un périodique philosophique. A cette occasion il a pu juger du comportement du personnage. Extraits et morceaux choisis :
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Premier
coup de patte, toutes griffes dehors, puis deuxième, troisième, il
n’arrête plus, se lâche, agresse, tape, cogne, parle tout seul, débit
impossible à contenir ou à canaliser. Une, deux, dix, vingt phrases
autistes. Le directeur de cabinet et le porte-plume regardent et
écoutent, impassibles. On les imagine capables d’assister à un
interrogatoire musclé arborant le même masque, celui des gens de
pouvoir qui observent comment on meurt en direct et ne bronchent pas.
Le spectacle des combats de gladiateurs.
Je sens l’air glacial que transportent avec eux ceux qui, d’un geste du
pouce, tuent ou épargnent. Poursuite du monologue. Logorrhée
interminable. Vacheries lancées comme le jet de fiel d’une bile malade
ou comme un venin pulsé par le projet du meurtre. Hâbleur, provocateur,
sûr de lui en excitant l’adversaire à se battre, il affirme en
substance : « Alors, on vient voir le grand démagogue alors qu’on
n’est rien du tout et, en plus, on vient se jeter dans la gueule du
loup… » !
Je fais une phrase. Elle est pulvérisée, détruite, cassée, interdite,
morcelée : encore du cynisme sans élégance, toujours des phrases dont
on sent qu’il les souhaiterait plus dangereuses, plus mortelles sans
parvenir à trouver le coup fatal. La haine ne trouve pas d’autre chemin
que dans cette série d’aveux de blessure. J’avance une autre phrase.
Même traitement, flots de verbes, flux de mots, jets d’acides. Une
troisième. Idem. Je commence à trouver la crise un peu longue. De toute
façon démesurée, disproportionnée.
Si l’on veut être Président de la République, si l’on s’y prépare
depuis le berceau, si l’on souhaite présider les destinées d’un pays
deux fois millénaires et jouer dans la cour des grands fauves de la
planète, si l’on se prépare à disposer du feu nucléaire, si l’on
s’expose depuis des années en s’invitant tous les jours dans les
informations de toutes les presses, écrites, parlées, photographiées,
numérisées, si l’on mène sa vie publique comme une vie privée, et vice
versa, si l’on aspire à devenir le chef des armées, si l’on doit un
jour garantir l’Etat, la Nation, la République, la Constitution, si,
si, si, alors comment peut on réagir comme un animal blessé à mort,
comme une bête souffrante, alors qu’on a juste à reprocher à son
interlocuteur un blog confidentiel peu amène , certes, mais inoffensif ?
Car je
n’ai contre moi, pour justifier ce traitement disproportionné , que
d’avoir signalé dans une poignée de feuillets sur un blog , que le
candidat aux présidentielles me semblait très récemment et fort
fraîchement converti à De Gaulle, au gaullisme, à la Nation, à la
République, que ses citations de Jaurès et Blum apparaissaient fort
opportunément dans un trajet d’une trentaine d’années au cours
desquelles ces grands noms étaient introuvables dans ses interventions
, questions qui, au demeurant, rendaient possible un débat, et que
c’était d’ailleurs pour ces raisons que nous étions là, Alexandre
Lacroix, Nicolas Truong et moi….
Il
me semble qu’à partir de ce moment, le candidat aux présidentielles, le
ministre de l’intérieur, l’animal politique haut de gamme laisse le pas
à l’homme, fragile, inquiet, ostensiblement hâbleur devant les
intellectuels, écartant d’un geste qui peut être méprisant le propos
qui en appelle aux choses de l’esprit, à la philosophie, mais
finalement trop fragile pour s’accorder le luxe d’une introspection ou
se mettre à la tâche socratique sans craindre de trouver dans cette
boîte noire l’effroyable cadavre de son enfance.
Dans la conversation, il confie qu’il n’a jamais rien entendu d’aussi
absurde que la phrase de Socrate « Connais-toi toi-même ». Cet aveu me
glace – pour lui. Et pour ce qu’il dit ainsi de lui en affirmant
pareille chose. Cet homme tient donc pour vain, nul, impossible la
connaissance de soi ? Autrement dit, cet aspirant à la conduite des
destinées de la nation française croit qu’un savoir sur soi est une
entreprise vaine ? Je tremble à l’idée que, de fait, les fragilités
psychiques au plus haut sommet de l’Etat, puissent gouverner celui qui
règne !
Et je voyais là, dans le regard devenu calme du fauve épuisé par sa violence, un vide d’homme perdu qui, hors politique, se défie des questions car il redoute les réponses, et qui, dès qu’il sort de son savoir faire politicien, craint les interrogations existentielles et philosophiques car il appréhende ce qu’elles pourraient lui découvrir de lui qui court tout le temps pour n’avoir pas à s’arrêter sur lui-même.