toupour le zooh

billet de vacances 3



A la suite d'un extrait de l'interview de Mazarine Pingeot sur France Info, il m'est venu l'idée de répondre par une (autre) fiction à ces justifications d'un roman présenté comme une fiction, et qui paraît peut-être un peu tôt après une affaire dramatique, non jugée, et où sont mêles, de façon tout à fait nouvelle et particulière, des enfants.


Une fin en soi

 

Navarine Rinaut posa son stylo. Impossible d’écrire un seul mot. D’ailleurs, que répondre à l’article de ce journal qui l’accuse, à mots couverts il est vrai, de profiter de la détresse pour faire un coup. Sortir un livre sur cette affaire, c’était une idée de son éditeur.

            «  Voilà un truc qui devrait t’inspirer… si, si, tu as la patte pour ce genre de récit… »

Il ne  l’avait peut-être pas dit comme ça mais c’était bien l’idée. Surtout, qu’elle se tranquillise, elle aurait toute la documentation voulue - et effectivement des petits topos sur fiche cartonnées lui étaient arrivées dès le surlendemain -, les articles de journaux- oui, bien sûr, si elle voulait traiter d’un problème plus vaste, l’infanticide, on lui compilerait tout ce  qu’on avait sur la question…

Ce qu’on lui demandait, c’était d’écrire –tu comprends bien qu’il faut que tu sortes quelque chose de temps en temps, sinon, c’est l’oubli, et après…- d’imaginer unne histoire qui  se tienne –surtout ne va pas compliquer la chose, si on peut en faire un scénario, plus tard, oui, j’ai dit plus tard, pour la télé, c’est encore mieux – et de signer , mais non, ce n’est pas sur ton nom que les gens achètent, mais avec ton nom, non, ce n’est pas pareil. Tiens , un exemple, Sarkozy n’a pas été élu sur son programme politique, les gens s’en foutent, mais avec son programme…

Avec des arguments comme celui-là...

 Elle l’entend encore. Convaincant. Et l’attachée de presse de revenir à la charge, le lendemain, et les jours suivants. Si bien qu’elle avait abandonné le pavé qu’elle était en train  d’écrire, tout le monde écrit un pavé depuis les Bienveillantes, le remettant à plus tard, quand « le livre » serait écrit, corrigé, qu’elle aurait vu les épreuves. Elle s’était dit qu’alors, l’éditeur lui foutrait la paix, l’attachée de presse ne serait plus sur ses traces ou sur son divan, à attendre de mériter sa paie. Ils avaient même mis sur le coup le petit Ballard, qui lui faisait la cour depuis trois ans, et qu’elle supportait assez bien pour qu’ils lui confient la mission.

Trois mois la chasse avait duré, jusqu’à un début de dépression, dont elle  était sortie en commençant à écrire le bouquin. Une vraie psychanalyse : moi, enfant ignorée, effacée des médias, même quand j’étais là, plus fort que Staline effaçant Trotsky et d’autres des photos de la révolution, moi, jamais sur les photos ni dans les comptes-rendus, même pas absente, évitée, écrivant l’histoire d’enfants refusés, exclus, assassinés.Niés.

Le Livre, « Une fin en soi », futur succès de librairie, le Livre de la rentrée,  par Navarine Rinaut, la fille de , troisième roman, campagne de presse et toute la pub qu’il faut autour. Comme un joli nœud autour d’un paquet cadeau. Une corde, plutôt, une corde au cou.

 

Et aujourd’hui, la polémique qui enfle, un comité de soutien aux frère et soeur, Rodolphe et Léa, du petit abandonné et retrouvé congelé. Le procès n’a pas eu lieu, l’éditeur construit sa campagne de pub sur le rapprochement entre la situation réelle et le contenu du bouquin, et moi, pris entre l’étau d’un coup publicitaire, et les protestations de la famille et de l’association de défense.

Je n’ai pas voulu ça : le livre , je l’ai écrit, pas trop mal, ça ne va pas révolutionner la littérature française, côté écriture, du classique, mais de l’efficace, et des points de vue originaux, enfin je crois. L’éditeur aurait pu attendre, je sais pas, le lendemain du procès, il aurait  ajouter une introduction de circonstance, écrite de la main d’ un psychologue quelconque, ou un homme de loi. Me mettre dans un pétrin pareil !

 

 

Navarine Rinaut pose à nouveau son stylo, ai-je dit qu’elle l’avait repris, se lève, pousse le rideau et regarde par la fenêtre : il pleut. C’est pas le genre de temps qui va arranger son moral. C’est vrai que le frère et la sœur sont dans une situation difficile, et je parle pas des parents et du mari, ni de l’accusée. Mais le sort de Rodolphe et Léa la préoccupe, l’inquiète peut-être. Elle sait ce que c’est qu’être une enfant protégée, même si dans son cas la protection, celle d’une petite puis grande fille, entourée de bienveillance et dans une sécurité matérielle particulière, était bien différente de la protection assurée pour sauvegarder l’équilibre familial et psychologique des deux enfants dans une situation dramatique. Elle en est consciente, mais que peut-elle y faire ?Assurer, comme elle l’a fait dans un interview, qu’elle ne parlait pas dans son récit de ce cas particulier , mais du cas général de l’infanticide ? L’article n’a rien arrangé, au contraire, alimentant la polémique, le contenu venant contredire la publicité de l’éditeur et la plaçant en porte à faux, dans un équilibre maladroit –ne pas dire la vérité, n’est-ce pas déjà mentir ?- et sur une position difficile à défendre : le but du livre n’est-il pas de parler et de faire parler de l’affaire ?

Surtout, la photo des deux enfants parus dans Voici-Paris, l’hebdomadaire est sur le bord du sopha, et elle y jette un coup d’œil,  la met mal à l’aise : comme s’ ils la regardaient, elle.

En particulier, Rodolphe, regard clair et un tout petit sourire. Pauvre sourire. Déjà vaincu ? Le mal déjà fait ?

 

Elle rebouche son stylo, se lève et se dirige vers la porte : elle a décidé de sortir. Sans parapluie, mais elle prend son imperméable, bordeaux gansé d’orangé, et une sorte de chapeau de marin, pluie oblige. Toujours préoccupée, elle descend l’escalier, deux étages, croise le voisin du dessus qui s’égoutte marche après marche, il sera presque sec au quatrième. Elle pousse la lourde porte du hall qui donne directement sur la rue et prend à droite. Au coin, un coup d’œil à la vitrine du buraliste- marchand de journaux. Les gros titres quotidienS : elle les lit tous les jours, parfois les relit pour prendre des notes, avec les café et  croissant du matin c’est une sorte de démarrage…

« Rodolphe noyé »

Elle s’arrête, elle lit le petit encadré qui dit le lieu, les recherches. Rien d’autre.

 

Elle est restée là, plantée plus d’une heure, sans bouger, c’est le petit Ballard qui l’a trouvée, en allant chez elle.

Elle n’a pas desserré les lèvres depuis.

Cela fait deux jours : elle s’alimente, elle se lève, elle se couche, elle n’écrit pas, ne parle plus.

On lui a dit que le Rodolphe de l’article n’était pas le frère de la petite Léa, que c’était un gosse en vacances dans un terrain de camping au bord d’un lac. Elle regarde dans le vide, baisse la tête et n'ajoute rien.

Des bruits commencent à circuler dans les « milieux autorisés ».

On murmure dans l’entourage proche, les quatre personnes qui ne quittent guère le petit appartement des quais de Navarine Rinaut, que le petit Ballard a passé un coup de téléphone à Serge P. de Canal Plus.

 

L'éditeurest injoignable.





Toute ressemblance, prénoms que j'ignore compris, avec des personnages existants serait purement fortuite. Ou alors, c'est à se demander si on peut vraiment inventer une histoire.

 

 



02/08/2007
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